Tous les jours la nuit

Publié le par Solene et Franck

Potosi rime forcement avec mines, avant meme qu'on y arrive. On se renseigne sur le deroulement de la "visite". On hesite. On a eu divers echos depuis qu'on voyage. Je decide finalement d'y aller, Solene ne viendra pas. Les risques d'eboulement, les gaz toxiques, la poussiere, le manque d'oxygene et l'obscurite ne la tentent pas trop.

On commence par le marche des mineurs ou ils viennent se fournir en materiel divers et en feuilles de coca. On achete de la dynamite et des boissons pour les mineurs qu'on va aller voir. On goute aussi au quemapecho (brule poitrine), un alcool a 96 degres utilise pour offrande a la terre mere, la Pachamama, le premier vendredi de chaque mois pour attirer sa bonte et le dernier vendredi du mois en remerciement. La ceremonie se fait en presence du Tio ou Diable, represente par une statue. C'est le gardien de la montagne, capable des pires chatiments ou des meilleurs hospices. Comme son nom l'indique, cette boisson reveille bien les bronches.

On visite ensuite une usine de separation des minerais. Les additifs necessaires a cette operation, tel que le cyanure, semblent manipules sans precaution particuliere. Il y a 27 usines de ce type a Potosi.

On entre enfin dans la mine. La temperature augemente de suite pour atteindre les 35 degres. Il y a de la poussiere, des odeurs desagreables, des passages etroits ou il faut progresser accroupi, a quatre pattes. On devra meme ramper une fois pour passer a un niveau inferieur. Ce n'est pas evident de respirer au debut. On s'habitue meme si certains dans le groupe ont plus de mal que d'autres avec l'altitude qui doit depasser les 4100m en plus. De la a y rester 8h par jour pour travailler, c'est une autre histoire...

On va voir les mineurs, comment ils travaillent, on discute un peu avec eux. Les conditions sont tres difficiles forcement. Cela se lit sur leur visage deforme qui plus est par la boule de feuilles de coca qu'ils gardent en permanence dans la bouche autant par tradition peut etre que pour humidifier leur gorge et couper la faim. En fonction de l'accessibilite du filon et de sa production, les mineurs utilisent des moteurs pour remonter les chariots et des perforateurs a air comprime ou realisent encore tout le travail a la main. On entend juste le souffle de leur respiration et le bruit des marteaux...

Malgre tout je n'ai pas ressenti cela comme du voyeurisme. Ils travailleraient de toute facon. Ils sont organises en cooperatives et tavaillent donc pour eux-memes. Ils ont choisi ce travail meme si pour 85% d'entre eux, c'est parce qu'ils ne trouvent rien d'autres. Ils gagnent generalement deux fois plus que le salaire minimum bolivien mais c'est tres variable en fonction de la qualite et de la quantite de minerai extrait. Cela a un prix, leur sante. Les mineurs meurent generalement entre 45 et 55 ans, alors que l'esperance de vie est de 63 ans actuellement en Bolivie. Dure realite...

Je retrouve Solene vers 13h. Sa premiere reaction : "Tu prendrais pas une douche ?" Apparemment j'emane une forte odeur de gaz, de suif, d'on ne sait trop quoi et mon visage est tout noir. Meme apres la douche, l'odeur n'aura pas completement disparu. Tenace. Au bout d'1h30 dans la mine, je m'y etais habitue.

L'apres-midi on visite la Casa de la Monedad batie au 18ieme siecle. C'est la qu'on frappait des monnaies avec l'argent des mines. Au debut avec des machines manuelles ou mues a la force des betes, pour les laminoirs de lingots notamment. 75% des richesses partaient en Espagne sous forme de monnaie, lingots ou minerai. Les 25% restants, demeuraient en Bolivie.
De 1869 a 1909, le travail s'effectue avec des machines a vapeur puis l'electricite fait son apparition. Les installations sont bien conservees, on se rend compte de ce que ca pouvait etre.
Malgre ce passe glorieux, les monnaies boliviennes sont aujourd'hui frappees un peu partout dans le monde, au Canada et au Mexique notamment, et les billets sont imprimes en France.

Une journee bien instructive sur ce qui fait l'ame de Potosi, les mines du Cerro Rico et leur exploitation... a moins que ce ne soit sur le pillage des espagnols en Amerique du Sud. Ca depend comment on voit les choses.

Petite balade ensuite dans Potosi, une ville qui bouge, ou les gens nous sourient, discutent. De ce cote la, ca va mieux. On a bien fait de perseverer.

On rentre a l'hotel mettre une petite laine pour ressortir manger et la, on rencontre un francais, Jeremy. Il est cuisinier et travaille dans les gastros. Il a meme fait un passage chez les freres Pourcel, au Jardin des Sens a Montpellier. Solene, avec son gout legendaire pour la cuisine, n'arrete pas de lui poser des questions... a moins que ce ne soit le contraire. En tout cas c'est decide, au retour j'achete les livres de Ducasse, parfait pour commencer a cuisiner apparemment.
Parler de cuisine fine, de reductions de vinaigre basalmique, d'espumas, d'emulsions, de deglacages c'est bien beau, mais 3h30 apres, il est trop tard pour sortir manger. Ca se termine avec une delicieuse soupe knorr...

Speciale dedicace a Flo : c'est Solene qui a tappe l'histoire des mines en Bolivie. Je n'y suis pour rien. Elle a dit que tu n'etais pas obligee d'y passer ton salaire...


Histoire des mines en Bolivie :

L'idee que le monde a de la Bolivie, il la doit aux coups d'Etat qui ont secoue le pays et plus recemment, a la cocaine. Mais depuis le debut de la colonie, la Bolivie est connue comme pays minier. Les fabuleux filons d'argent du Cerro Rico de Potosi, decouverts par l'indien Diego Huallpa en 1545, ont cree la legende des mines de Bolivie.

Pour exploiter ces richesses, il fallait de la main-d'oeuvre. Chez les incas, la mita etait un systeme de travaux communautaires obligatoires. Veritable institution publique, elle etait utile a toute la collectivite. Les espagnols la transformerent en un regime de travaux forces. Des quatres coins du territoire, des contingents d'Indiens, arraches a leur communaute agricole, furent achemines de force a Potosi pour y travailler dans les mines. 

La ville connut un essor foudroyant. Plus de 50 eglises, des palais, des couvents, des theatres s'y eleverent. En signe de gratitude pour les richesses qu'elle produisait, l'empereur Charles Quint lui accorda le titre de "ville imperiale". En 1573, elle comptait 120 000 habitants. Aussi peuplee que Londres, c'etait la plus grande ville des Ameriques et l'une des plus importantes du monde. L'argent extrait jour et nuit des mines etait fondu en lingots et charge sur des gallions qui l'acheminaient vers la cour d'Espagne. L'or et l'argent provenant de nouveaux territoires stimulerent le developpement economique de l'Europe et meme, peut-on dire, le rendirent possible.

Pendant 3 siecles, la montagne fit don du precieux metal enfoui dans son ventre. Mais en retour, des centaines de milliers d'Indiens y ont trouve la mort.

Vers la fin du XIXe siecle, les exportations d'argent commencerent a diminuer. 

L'augmentation de la production mondiale engendra la baisse des prix du marche. Peu a peu, la production fut abandonnee. L'interet se tourna alors vers l'etain.

L'exploitation massive de l'etain commence pratiquement au debut du XXe siecle. Parallelement, on extrait toutes sortes d'autres minerais : plomb, zinc, antimoine, argent...

Jusqu'en 1952, l'industrie miniere fut dominee par trois grands proprietaires.

En 1952, l'Etat nationalise les mines des trois groupes qui controlaient soixante-dix-huit pour cent de la production d'etain et un pourcentage appreciable d'autres minerais. Le gouvernement fonda la Corporation miniere de Bolivie (Comibol) pour administrer ses gisements. Pour les mineurs, ce fut un simple changement de raison sociale, leurs conditions de travail et de vie ne s'ameliorerent pas.
 

Pendant des decennies, la Comibol a extrait l'essentiel des minerais du pays, et ce fut la principale source de devises pour l'Etat. La Bolivie a ete longtemps le deuxieme exportateur d'etain du monde, derriere la Malaisie. Mais les fluctuations des cours sur le marche mondial, l'incapacite du pays a developper une industrie miniere moderne, l'absence d'une industrie de transformation, l'arrivee sur le circuit economique d'etain provenant d'autres pays ont entraine un lent mais constant recul de la production bolivienne.

En 1985, l'effondrement mondial du prix des minerais eut des effets devastateurs sur l'economie bolivienne. Dans les annees qui suivirent, les mines de la Comibol qui n'etaient plus rentables furent louees ou cedees a des cooperatives minieres. Les autres furent privatisees. Des milliers de mineurs furent licencies. Beaucoup emigrerent vers le Chapare, region subtropicale ou est cultivee la coca.

Aujourd'hui, en Bolivie, la grande majorite des mineurs travaille pour des cooperatives. Ils sont payes au rendement, c'est-a-dire a la quantite de minerais qu'ils vendent a la cooperative. Certains ne trouvent rien pendant des mois et s'endettent aupres de la cooperative qui leur avancera de quoi manger et leur fournira les explosifs et la coca.

Il semble neanmoins que depuis un an le cours des minerais augmente et que l'exploitation des mines boliviennes redemarre.

Publié dans Bolivie

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S
salut, <br /> Un petit coucou avant noël... votre passage en bolivie nous rappelle nos vacances de cet été, et une visite édulcorée des mines, l'après-midi. Prenez du bon temps et bonne fin d'année. La route est encore longue.<br /> <br /> Sam !
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M
Je crois que si j'avais été initialement dans votre situation, j'aurai choisi comme Solène de ne pas visiter les mines. Après ce témoignage, je pense que je ferais le pas... Commentaire impressionnant et convainquant. Merci. Bonne continuation. <br /> Marie
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S
Ah les mines de Potosi ... que de souvenirs.<br /> Avec ma taille, vous imaginez le bonheur, sans etre acclimate en plus :-)<br /> <br /> Bonne continuation<br /> Sylvain
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